Vue de Sozacom, Kinshasa, 2004.
Vue de Sozacom, Kinshasa

RDC: L’église catholique en guerre contre le pouvoir de Kinshasa, qui en sortira vainqueur ?

Le président Kabila a démontré depuis sa prise de pouvoir sa grande capacité de dissimulation. Cet homme politique a développé à la perfection l’art de l’esquive, du secret et de dissimulation dont Machiavel fait l’éloge dans son livre « Le Prince » que la plupart des politiques congolais lisent.

Kabila a pu, durant deux décennies, se mettre en posture de voir tous ses adversaires sans que personne ne le voie et ne le connaisse vraiment.

Tel un serpent, le président Kabila a développé l’art de se muer. Aussitôt qu’il est sur le point d’être démasqué sous sa vraie nature, il change de peau et se drape dans de nouvelles apparences qui font perdre le fil d’idées à ses adversaires.

Cette mue s’avère donc le secret de la force politique de Kabila. C’est à juste titre que Colette Braeckman disait de lui qu’il s’avance masqué. En effet, depuis son enfance au maquis jusqu’à son accession au pouvoir à Kinshasa, Kabila endosse le masque de plusieurs personnalités à la fois.

Ceci dit, il peut paraitre gentil et féroce, souriant et sanguinaire, « porteur des œufs » et destructeur impénitent, instigateur des dialogues tout comme fossoyeur de toutes leurs résolutions…

A la phase actuelle du combat intelligent qui l’oppose à l’église catholique, sa grande faiblesse consiste justement à ce que son adversaire le connait à fond. Il a observé son modus operandi. Il a pu se faire une idée précise de la psychologie de son être profond. Il l’a du coup affaibli d’autant plus que la force d’un manipulateur consiste dans sa capacité à cacher ses vraies intentions. Dès lors que celles-ci sont connues, il ne détient plus beaucoup de cartes entre ses mains pour continuer à « semer » son ennemi. C’est à travers les lunettes de sa mise à nu et de sa capture dans son propre piège qu’il faille interpréter les différentes péripéties des événements de ces derniers jours.

1. Après le point de presse de Mende et de la jeunesse PPRD qui croyaient gagner quelque chose par des menaces et des injures contre le cardinal, le premier ministre a décidé d’entrer sur le ring. Le vendredi 5 janvier 2018, il préside son 8e conseil des ministres avec un seul point à l’ordre du jour : «Évaluation des événements survenus dans la ville de Kinshasa et dans quelques agglomérations à l’intérieur du pays ». Dans le compte-rendu lu par son porte-parole, le gouvernement menace l’archevêque de Kinshasa des poursuites judiciaires pour avoir fait entrer la RDC dans un cycle de violences en vue de perturber le processus électoral en cours. De toute évidence, à la base de cette ire, il faut pointer les philippiques du cardinal contre ceux qu’il a qualifiés des « médiocres devant dégager ». Aucune réaction de l’église dans les jours qui suivent. Seul le silence dont personne n’arrive à bien interpréter la teneur. Un silence pourtant très éloquent qui semble dire plus que les mots.

En effet, Bruno Tshibala est loin d’appréhender que depuis son accession à la primature, l’église catholique ne l’a jamais pris au sérieux tout comme ne l’a jamais véritablement considéré comme un Premier Ministre issu des clauses de l’Accord de la Saint Sylvestre. Aux yeux de l’église, Tshibala serait au mieux un opportuniste, au pire un simple figurant à la primature, sans aucun pouvoir pour impacter la bonne marche du pays vers un état de droit.

Le prélat de Kinshasa et le CLC savent que le véritable premier ministre se trouve tapi dans l’ombre du gouvernement parallèle. Après ses frasques avec l’UDPS qu’il a tenu à dédoubler et la mésaventure de sa famille biologique en errance aux USA pour quémander l’asile politique, l’église a choisi de ne pas lui répondre tant est si vrai que cet ancien combattant de la liberté et très proche d’Étienne Tshisekedi est devenu l’ombre de lui-même et inspire de la pitié…

2. A Kinshasa, personne n’a oublié le premier duel entre le cardinal et Kabila lorsqu’à l’issue des élections chaotiques de novembre 2011, l’homme de Dieu déclarait le 12 décembre suivant : « les résultats de la présidentielle qui ont donné la victoire à Joseph Kabila ne sont conformes ni à la vérité ni à la justice ». La fièvre était montée d’un cran à un tel degré que le président réélu a dû prêter serment en catimini, à l’abri du peuple souverain.

Et lorsque le pouvoir pprd va organiser plus tard le 16 janvier 2016 au Mausolée du défunt président Mzee Laurent-Désiré Kabila, de grandes cérémonies pompeuses pour le quinzième anniversaire de sa mort, pour se donner des justificatifs de son absence, le cardinal s’arrange pour organiser au même moment une Messe d’action de grâces dans la cathédrale Notre-Dame de Lingwala. Kabila ne le digère point. Il envoie sa propre femme avec une double mission : celle moins vraie de le représenter au culte et celle plus vraisemblable de convaincre coûte que coûte le cardinal de venir en personne au mausolée Kabila où sont réunis tous les dignitaires du régime. Monsengwo, après d’âpres discussions avec Olive entrée jusque dans la sacristie, s’incline à contrecœur en vue de pas blesser la sensibilité de son illustre fidèle chrétienne et de ne pas se déclarer être en guerre ouverte contre son mari. Quand Olive Lembe marchera côte à côte avec le cardinal pour se diriger vers le podium, Kabila ne cache pas sa joie de savourer sa victoire.

Deux ans plus tard, dans un nouveau climat très tendu avec le prélat de Kinshasa, Kabila va de nouveau vouloir recourir à son arme « conjugale » pour plier son adversaire. Ainsi donc, le vendredi 5 janvier 2018 au pic de son bras de fer avec l’église, il tente d’envoyer sa femme négocier une entrevue avec le cardinal pour solliciter un éventuel tête-à-tête entre les deux. Par délicatesse, le prélat accepte la visite de la première dame mais sous condition de ne pas se laisser filmer. La première dame obtempère pourvu qu’elle réussisse à plier le vieil homme à ses plans. A peine elle entre dans ses bureaux, le cardinal ne lui réservera que trois petites minutes durant lesquelles il la priera de le laisser pleurer ses nombreux morts de dimanche. Contrairement au secret légendaire de la curie, les services de l’archevêché ébruiteront sciemment des bribes d’informations sur la très courte visite pour rassurer la base que le cardinal ne dévie ni à gauche ni à droite par rapport à la ligne de conduite du combat de CLC et de la Cenco.

3. Depuis les événements du 31 décembre 2017, on observe bien curieusement que les messes matinales sont pleines de fidèles et ceux-ci, au sortir de chaque culte, viennent encourager leurs prêtres célébrant avec cette phrase : « Ne vous arrêtez pas en route. Ne négociez plus jamais avec ce diable ». La hiérarchie y saisit un message subliminal d’après lequel même les congolais moyens ont compris que Kabila utilise incorrigiblement le talk and fight, il négocie juste pour gagner le temps tout en continuant à faire la guerre autrement pour avoir le dessus sur son adversaire. Les congolais moyens savent désormais que cet homme ne travaille pas pour l’intérêt supérieur des congolais. Au contraire lui et son entourage forment un groupe décidés à écraser la dignité et la fierté d’être congolais.

Pourtant, en dépit de ce climat de méfiance généralisée, Kabila qui a raté la coche avec sa femme, est pourtant loin de baisser le bras. Il tente le tout pour le tout. Le samedi 6 janvier 2018, il envoie son propre directeur de cabinet pour essayer une fois de plus d’intercéder en faveur d’une rencontre entre le cardinal et son patron. Le cardinal n’est pas sans savoir les aspirations profondes qui sourdent dans les communautés paroissiales de son diocèse. Comme d’autres émissaires avant lui, Néhémie Mwilanya s’est vu éconduire poliment sans réussir à rencontrer l’archevêque qui sait pertinemment bien que toute rencontre avec Kabila ou même simplement avec ses hommes de main deviendra inévitablement fatale pour lui-même et pour la cause nationale qu’il défend becs et ongles.

Lorsque après le DirCab, il s’annonce un autre légat : Théodore Mugalu, Directeur de la maison civile du chef l’État. A peine est-il rentré le samedi 6 janvier 2018 d’un voyage à Lubumbashi où il a fustigé les évêques catholiques qu’il qualifie des mauvais pasteurs qui poussent à la violence pour détruire le pays, le voilà qui sollicite un rendez-vous chez un de ces évêques mis sur sellette. Le cardinal refuse de le recevoir et durcit le ton pour éviter toute équivoque : « Il n’y aura aucune discussion avec les barbares qui profanent les églises de Dieu. »

En dernière instance, Kabila se tourne alors vers son homologue congolais, Denis Sassou-Nguesso qui invitera le cardinal à Brazzaville. Celui-ci oppose un niet catégorique à ce rendez-vous et à sa place, c’est bien une délégation de la Cenco qui traversera le fleuve Congo le mardi 9 janvier 2018. Le langage policé et diplomatique usé lors de l’interview accordée à la télévision nationale de Congo-Brazzaville ne doit guère occulter les coulisses de la rencontre où, selon certaines indiscrétions, les évêques ont transmis un message un peu plus clair à celui qui est présentement chargé du suivi des mécanismes de la paix et de sécurité dans la région des grands lacs : « Pas question de reculer tant que Kabila s’entêtera. Nous allons continuer les actions de rue jusqu’à ce que le président illégitime démissionne

4. Lorsque le Nonce apostolique se met à faire des déclarations publiques, les congolais sont loin de comprendre que c’est depuis longtemps que ce légat du pape était impliqué dans le dossier congolais. On avait déjà perdu de vue qu’au mois d’août 2016, le lundi de l’Assomption, le Pape François avait dénoncé publiquement le silence « honteux » sur les massacres et les souffrances du peuple congolais. Il déléguera le lundi 29 août 2016 son nonce apostolique au lieu de drame à Rwangoma, où une cinquantaine des villageois qui rentraient des champs avaient été massacrés. Il clôture cette visite par une parole prémonitoire : «Ne vous laissez pas voler votre espérance ! Nous sommes rassemblés ici parce qu’il y a détermination à faire mieux».

Au Conseil de sécurité de l’ONU qui se tiendra en septembre 2016 suivant, le pape va déléguer un groupe de lobbying pour plaider en faveur de la situation chaotique du peuple congolais. Le président kabila qui était en route vers New York fera escale à Rome pour tenter d’amadouer l’engagement du pape pour le Congo. Il induira le pape en erreur, lui faisant de fausses promesses mais en réalité pour tirer la couverture du côté du plan de son glissement.

Coincé par la perspective imminente de 19 décembre 2016 qui marquait la fin de son deuxième et dernier mandat, il va solliciter du pape la médiation de la Cenco en vue d’un accord qui lui permet de rester au pouvoir pour une année pour laisser le pays dans des conditions plus sereines et plus pacifiques. Quand dans son interview dans l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, le pape François étale sa déception contre un Kabila qui ne tient pas ses promesses, le fil de confiance se serait cassé pour toujours entre les deux hommes…

Kabila a cru tourner la page. Le pape non… Les récentes déclarations de son ambassadeur pour donner un statut canonique au CLC afin de le laisser décider et agir d’une manière autonome, son exhortation à peine voilée à tous les évêques de la Cenco de s’impliquer dans la nouvelle dynamique du changement sociopolitique du Congo et l’annonce toujours par le même Nonce de nouvelles autres manifestations pacifiques des chrétiens dans les tout prochains jours n’inaugurent rien de bon pour l’avenir politique de Kabila. Au contraire, ce sont tous là des signaux clairs qui révèlent la dimension de plus en plus étendue du camp des ennemis de Kabila. Tout le monde comprend maintenant que dans ce combat intelligent contre Kabila, Monsengwo n’est que le sommet de l’iceberg… La partie coriace reste bien cachée sous les eaux profondes de l’océan en ébullition…

Au jubilé de l’abbé Nshole, Mgr Fridolin Ambongo, Archevêque de Bandaka et Vice-Président de la Cenco, confirmera tout le soutien affectif et spirituel de tous les évêques congolais à Monsengwo en ces termes : « Tous les Évêques de la CENCO m’envoient témoigner leur solidarité affective et effective à l’endroit de Son Éminence le Cardinal. Ceux qui distillent des messages de division viennent du camp des mauvais ». Il n’y a plus ombre d’aucun doute que le combat de Kabila versus Monsengwo se redessine en une confrontation plus élargie de Kabila contre la Cenco ou tout simplement contre l’église catholique romaine.

En effet, une nouvelle orientation de la résistance venait d’être annoncée la veille dans toutes les églises catholiques de Kinshasa durant le culte du dimanche 7 janvier 2018. Outre la lettre du cardinal qui a été lue avec de très longs applaudissements de l’assemblée, les prêtres présidant les célébrations eucharistiques ont annoncé sans ambages la poursuite de « l’opération cloches » devant être sonnées chaque jeudi à 21 :00 jusqu’à ce que soient obtenus le respect de l’Accord de la Saint Sylvestre et l’alternance démocratique à la tête de l’État (en d’autres mots le départ de Kabila).

Fait nouveau : cette opération cloches devient derechef obligatoire. Il ne s’agira plus seulement du bon vouloir du curé de sonner ou pas. Il devient désormais une obligation pastorale pour chaque responsable paroissial sommé de s’y employer, faute de quoi les sanctions tomberont. Autrement dit, ceux qui ne respecteront pas le mot d’ordre devront se justifier auprès de leurs supérieurs hiérarchiques. Dans ces conditions, tenter de corrompre un curé contre un autre devient tâche très ardue. Et le fait qu’à cette décision de sonner les cloches, reste pendante une autre sur la menace sérieuse de fermer toutes les écoles et tous les hôpitaux catholiques sur toute l’étendue du territoire national vient effectivement accentuer la pression sur l’adversaire non habitué à ce genre d’audace calculée de la part des congolais qu’il a toujours traités de nuls, des peureux sinon des jouisseurs.

Tout analyste arcanes de la politique congolaise doit avoir noté aussi bien le nouveau tournant qu’est en train de prendre la guerre des stratèges à Kinshasa que le renversement de plus en plus manifeste des rapports de force entre les deux camps. La ruse légendaire de Kabila ne fonctionne plus. Ses adversaires en sont trop bien informés. A chaque nouveau pas qu’il veut franchir, ses adversaires savent déjà où il veut en venir et l’attendent bien au tournant. Il est démasqué et mis à nu. Il est pris dans son propre piège et, à l’instar de ce poison dont son pouvoir s’est illustré via ce que les kinois ont ironiquement qualifié de « sixième chantier », Kabila est en train de mourir de sa propre toxine.

La décadence politique de Kabila qui se profile à l’horizon pourra bien découler du changement de visage de l’ennemi qu’il s’est préparé à affronter en achetant des armes de guerre et des services des milices étrangères. Les perspectives d’un combat frontal se sont complètement éloignées le 31 décembre dernier. L’ennemi en face de lui, ce n’est plus tout à fait le profil habituel de ses partenaires politiques qui luttent pour reconquérir son pouvoir mais plutôt un engouement généralisé de liberté, ces idées de libération essaimées et qui commencent à s’emparer de tout un peuple. Face à cet ennemi nommé IDÉAL DE LIBERTÉ, Kabila se sent désemparé et n’est même plus certain de l’utilité de ses chars.

Joël imbole

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