Le réparateur des femmes a rencontré le Pape François mardi 22 mai 2019 au Vatican, à l’issue de l’audience générale. Dr. Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018 a exprimé sa volonté de continuer à dénoncer les conséquences de la souffrance imposée au peuple congolais, qui vit la guerre depuis une vingtaine d’année à cause de sa richesse. Il recommande l’implication de tous pour mettre fin à cette barbarie.
Cette rencontre a permis au Pape François de féliciter vivement le Dr Mukwege pour le travail qu’il fait en faveur des vulnérables et les victimes des violences sexuelles. Il a exprimé sa préoccupation par rapport à la situation en RDC qu’il qualifie de difficile, tout en exhortant de continuer à prier et travailler.
Dans une interview accordée à Radio Vatican, Dr. Denis Mukwege déclare partager les idéaux du Pape François sur la paix, la justice et l’écologie humaine. « Je pense que c’est pour ça que je suis là. Quand vous voyez toute l’idéologie qui est défendue par le Vatican, le respect de la dignité humaine, c’est très important. Nous vivons en République Démocratique du Congo où la vie humaine n’a plus de valeur: les gens peuvent tuer pour n’importe quoi ». Et d’ajouter : « Nous sommes un pays chrétien, il faut enseigner aux gens les valeurs de l’amour, de la considération de l’être créé à l’image de Dieu. Cette dignité que nous devons avoir est une grande valeur que nous sommes en train de perdre ». Il relève l’importance de se ressourcer et collaborer avec les hommes de Dieu qui croient à cette valeur que Dieu donne à l’homme.
Terme réparateur des femmes peu convenante
Dr Mukwege pense que la qualification « réparateur des femmes » est peu convenante. Malheureusement, dit-il, ce nom est utilisé puisque ces femmes n’auraient pas eu besoin de tout le soin qui leur ai attribué. « On n’aurait jamais été appelé réparateur », regrette-t-il, puisque ces femmes ont besoin d’être respectées. Il faut d’abord les considérer comme étant égales aux hommes, entendu que c’est dans la différence mise entre l’homme et la femme que se situe l’origine de « infériorisation » de la femme. Ce qui entre dans le processus même de sa destruction en oubliant complètement qu’elle est égale à l’homme et que Dieu l’a créée à son image. Pour lui, les femmes occupent une place très importante.
Cependant, il se réjouit d’être au Vatican avec le père Nicolas, son curé, avec qui, dit-il, il entretient une très bonne collaboration. Dans cette paroisse, ce sont les femmes qui remplissent l’église, qui travaillent, qui rendent visite aux malades. « Je pense que dans notre société congolaise on ne saura pas démarrer si on ne donne pas à la femme la place qu’elle mérite. Les femmes sont partout. Que ce soit au marché, au champ, dans le transport ou dans le commerce », soutient-il puisqu’elles font énormément de choses. Malheureusement, elles ne sont pas acceptées quand il s’agit de faire la répartition du produit de leur travail. C’est le tort qui est commis, adjure-t-il, car il est très important qu’au Congo, en Afrique et dans le monde la place de la femme lui soit donnée.
Alerte au monde sur les atrocités de la RDC
« Je suis médecin gynécologue, obstétricien. Je travaille beaucoup, je fais beaucoup la chirurgie, mais il y a un peu plus de huit ans que suite à ce que je vivais au bloc opératoire, j’ai soigné les mères, j’ai soigné leurs filles, je commence à soigner leurs petits-enfants et cela n’est pas acceptable pour moi », s’est-il plaint. Cependant, il a quitté le bloc opératoire, en vue d’alerter le monde sur ce qui se passe en RDC. Selon lui, il ne faudrait pas que les gens puissent oublier que ce pays est martyrisé. Depuis vingt ans, plus de 6 millions de morts, parfois suite à des massacres, par la faim et le manque de soins. « Mais 6 millions de morts c’est énorme », s’écrie-t-il. Un pays où aujourd’hui, quatre millions de personnes sont des déplacées internes. Des gens qui ne sont dans des camps de réfugiés ou des déplacés internes où, à manger leur ai donné, où ils sont soignés, mais qui abandonnés à eux-mêmes pour mourir. « Ils ont fui leurs villages pour chercher la sécurité, mais il n’y a aucune prise en charge. Et des centaines de milliers de femmes violées, je pense que par rapport à cette situation, il faut quand même considérer que c’est une situation qui est très grave », a-t-il signalé. Pour cela, il n’y avait pas de solution au bloc opératoire. Raison pour laquelle il prend 25 pourcent de son temps pour essayer d’alerter le monde par rapport à ce qui se passe. Mais aujourd’hui avec le prix Nobel de la paix, il passe un peu plus de 50 pourcent de son temps à faire le plaidoyer mais pour une courte période. Il espère que les congolais avec tous leurs amis et les gens soient portés dans les prières et actions pour qu’un jour se dise finalement : « le Congo est un pays en paix, où les enfants peuvent grandir sans craindre la mort, sans craindre de ne pas aller à l’école, etc. Et c’est ce que nous espérons ».
Appel à l’implication de tous
Le Dr Mukwege est en quête de soutien pour mener à bien sa lutte. « Je pense qu’il y a 20 ans personne n’en parlait. Dix ans après, c’était toujours à peu près que les gens pouvaient parler de la situation du Congo », cogite-t-il. Il croit dur comme fer que la situation des femmes aujourd’hui est parlé un peu plus mais pas encore assez, puisqu’assez veut dire que le monde peut se mettre debout pour dire : « nous ne pouvons pas être indifférents quand la dignité humaine est écrasée. On n’a pas encore ce mouvement ». Il continue à faire ce plaidoyer pour qu’il y ait un mouvement global disant non à ce que subissent aujourd’hui les Congolais.
« Il faut crier, mais ensemble, exhorte le Dr Mukwege » qui pense que crier soi-même ne suffit pas. Il a plutôt besoin que les gens se joignent à ses cris, pour qu’une fois nombreux, des Congolais et des amis des Congolais à crier, à dire trop c’est trop. « Moi je suis certain qu’un jour on sera entendu par rapport au drame que nous connaissons », rassure-t-il.
A l’en croire, cette situation est due aux richesses naturelles de la RDC. « Ce n’est pas une guerre tribale qu’on ne vous trompe pas, ce n’est pas une guerre entre religions, ce n’est pas une guerre entre deux entités territoriales», déplore-t-il. Mais c’est plutôt une guerre pour l’exploitation des richesses que Dieu a données à la RDC. Il pense qu’aujourd’hui, lorsque le groupe Amazon chante, elles ne sont pas congolaises, mais le font pour apporter l’attention par rapport à ce qui se passe au Congo. Une bonne chose, mais il faut en faire plus.
Judith Asina