La mort inattendue du président de la République du Burundi, Pierre Nkurunziza, ouvre la porte à une période de crise imprévisible pour son pays, qui pourrait être soumise à des luttes d’influence perturbatrices et place en première ligne son successeur Évariste Ndayishimiye, confronté à de multiples défis.
Au pouvoir depuis 2005, le président Pierre Nkurunziza a rendu l’âme ce lundi 08 juin 2020 suis à une crise cardiaque à l’hôpital du cinquantenaire de Karusi à Bujumbura.
La mort de celui qui était nommé » guide suprême de la nation », a suscité la stupéfaction et l’inquiétude dans ce pays tant fragilisé par des décennies de tensions ethniques et une longue guerre civile (300 000 morts entre 1993 et 2006).
Néanmoins, l’homme n’exerçait pas seul le pouvoir, d’où il a pris soin de conjuguer avec un petit groupe de généraux très puissants, issus comme lui de la rébellion hutu.
Pour Carina Tertsakian, de l’Initiative pour les droits humains au Burundi, certains d’entre eux pourraient profiter peut-être de ce vide pour reprendre le pouvoir.
“Il y aura des gens qui ont perdu leur patron. D’autres qui verront peut-être une opportunité pour avancer leurs pions”, approuve Richard Moncrieff, expert pour l’International Crisis Group (ICG).
Se décidant de ne pas se représenter aux récentes élections, Pierre Nkurunziza a, dans un premier temps, penché son choix sur le président de l’Assemblée nationale, Pascal Nyabenda, pour lui succéder.
Plus tard, les généraux l’ont convaincu de lui préférer un militaire, Évariste Ndayishimiye, finalement élu le 20 mai dernier.
Lui-même étant général, ce dernier ne faisait pas de l’entourage proche des gros poissons detenant les clés du pouvoir.
Le général Ndayishimiye aurait probablement du mal à imposer sa politique vu qu’il était réputé trop tolèrent, si Nkurunziza aurait vécu.
“En principe c’est une opportunité pour lui de s‘émanciper”, avance M. Moncrieff. Mais Mme Tertsakian prétend que le nouveau président pourrait aussi bien n’avoir “pas le pouvoir ou la force de s’imposer” face aux généraux, dont “certains ont beaucoup de sang sur les mains”.
Dans cette hypothèse, s’il veut “introduire des réformes, améliorer la situation des droits humains, mettre fin à la violence politique (…), il risque de se heurter à des obstacles, à des réticences de la part de ces généraux qui ont intérêt à se protéger”, souligne Mme Tertsakian.
Les prescrits constitutionnels sur la transition sont-ils menacés ?
“Si ça s‘était passé avant les élections, ça aurait été le chaos vraiment”, imagine Mme Tertsakian. Mais à présent, le processus de transition paraît bien balisé.
En effet, l’entrée en fonctions de M. Ndayishimiye devrait avoir lieu en août, à la fin du mandat de son prédécesseur. Mais avec la disparition inopinée de Nkurunziza, l’intérim pourrait être assuré par le président de l’Assemblée nationale, à moins que le pouvoir ne décide d’anticiper la prise de fonctions.
La mort d’un président est généralement un élément déstabilisateur, “mais il est important de souligner que ça vient dans un contexte où en fait, la voie constitutionnelle est claire et n’est pas disputée”, observe M. Moncrieff.
Selon Mme Tertsakian, les divisions internes “assez prononcées au sein du parti au pouvoir” rendent toutefois la période intérimaire “très incertaine”.
Pour sa part, M. Moncrieff laisse croire que beaucoup dépendra de la capacité du futur chef de l‘État “à tenir la situation, à éviter que soit Nyabenda, soit d’autres personnalités s‘écartent de la voie constitutionnelle”.
Le général Ndayishimiye devrait s’attendre à plusieurs défis.
Certainement, avec la répression qui s’est abattue depuis la crise de 2015 sur les Burundais, dont un grand nombre ont été tués, torturés ou emprisonnés arbitrairement, Pierre Nkurunziza laisse un “héritage sombre et triste”, celui d’un pays “en proie à la peur”, estime Mme Tertsakian.
Le temps qui arrive nous dira encore mieux.
Jules Ninda
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